La virulence de la pandémie du Covid 19 n’a guère estompé les rivalités interétatiques. Bien au contraire, l’urgence sanitaire a entraîné une compétition, à la fois, pour l’achat, la production de masques et de vaccins entre les Etats, notamment les pays riches dits développés[i]. De la même manière, sur le plan économique, les pertes abyssales subies tant par les budgets étatiques que par les entreprises à cause de la pandémie ont contraint ces derniers à mener une intervention publique assez conséquente en vue d’éviter des récessions de longue durée. Ces interventions publiques se sont, notamment, caractérisées par la mise en place de plans de relance qui se chiffrent en milliards de dollars[ii]
En ce qui concerne le continent Africain, les États ont dû faire face à une pénurie de capitaux financiers pourtant indispensables dans le cadre de la réponse à l’urgence sanitaire et ses conséquences socio-économiques. En effet, la crise sanitaire mondiale a eu un impact sur l’économie des États africains dans la mesure où le continent a connu sa première récession depuis vingt-cinq ans[iii]. La Banque Africaine de Développement (BAD) estime qu’environ trente millions d’africains sont tombés dans l’extrême pauvreté en 2020 en raison de la pandémie du Covid 19. Aussi, les prévisions pour 2021 sont-elles évaluées à la hausse, car la BAD indique que trente-neuf millions d’africains pourraient se retrouver dans la même situation. Face à cette conjoncture économique atone, les Etats Africains, avec en tête de proue les présidents de la RDC, du Sénégal et de la Cote d’Ivoire, ont dès lors, exprimé le besoin de plus de flexibilité dans l’accès au financement auprès des institutions financières internationales, car ils ne disposent pas des mêmes capacités de création monétaire que les États européens, américains ou asiatiques[iv]. C’est dans ce contexte que fut organisé le sommet de Paris dont l’objet est de proposer une série d’actions permettant aux États du continent de bénéficier des moyens nécessaires pour assurer la relance de leurs économies durement éprouvées.
Si la solidarité internationale et l’aspiration à une co-construction ont été maintes fois mises en avant lors de ce sommet ; il convient cependant de souligner que les éléments préconisés durant ce sommet exposent d’une part, l’antériorité des problèmes économiques récurrents en Afrique qui ont seulement été aggravés par la crise sanitaire. D’autre part, les résolutions du sommet de Paris semblent encore ambiguës lorsqu’elles promeuvent une inclusion financière plus importante en faveur de l’Afrique tout en négociant des mécanismes traditionnels de dépendance en l’occurrence celui de l’aide liée.
- Des problèmes économiques systémiques aggravés par la pandémie du Covid 19
L’organisation du sommet de Paris répondait au besoin de trouver des moyens de financement des économies africaines qui sont affectées par les conséquences de la pandémie du Covid 19. Néanmoins, il convient d’indiquer que les économies africaines étaient, bien avant la pandémie, confrontées à des problèmes systémiques[v] qui sont :
-
- Difficulté d’accéder aux marchés de capitaux,
- Difficulté à convaincre sur la perception du risque ; toute chose qui conduit à contracter des prêts assortis de conditions assez contraignantes
- Un taux de pression fiscale assez bas[vi]
- Un problème de liquidité qui ne permet pas de relancer l’économie en cas de choc,
- Soumission à une rationalité d’analyse de la dette incarnée par liste de conditionnalités du Fonds Monétaire International,
- Difficulté à mobiliser davantage les ressources domestiques, toute chose qui entraîne un sous financement de l’Afrique et un surendettement ; car si l’État n’a pas recours à la dette, les acteurs privés ne seront pas en mesure de trouver les fonds nécessaires pour le financement de leurs activités.
Ainsi, la crise du covid 19 ne peut être désignée comme la principale responsable de la situation actuelle. Cette crise n’est venue qu’amplifier les conséquences que de tels systèmes économiques si fébriles et extravertis peuvent engendrer en cas de choc. Cela dit, le financement de ces économies demeure une problématique à résoudre, car contrairement aux puissances européennes, américaines et asiatiques, les États africains ne disposent pas des mêmes capacités de création monétaire pour mettre en œuvre des plans de relance. Par exemple, dans le cadre de la zone UEMOA, l’article 36 de la BCEAO dispose que la Banque centrale ne peut accorder des financements monétaires aux trésors publics, aux collectivités locales ou à tous autres organismes publics des États membres de l’union monétaire ouest africaine[vii]. Une telle disposition limite considérablement la capacité des États concernés à financer leurs économies par la création monétaire, quand on sait le rôle important qu’ont joué les banques centrales occidentales dans le financement des plans de relance de leurs Etats membres.
Ainsi, les pistes envisagées en vue d’assurer la relance des économies africaines concernent, d’une part, le traitement de la dette contractée par les Etats[viii], et d’autre part l’allocation des droits de tirage spéciaux.
- Examen des initiatives proposées en vue d’assurer la relance des économies africaines
S’agissant du traitement de la dette, des États ont pu bénéficier de l’initiative de suspension du service de la dette qui fut prolongée jusqu’en juin 2021[ix]. Les différents appels à l’annulation de la dette ont laissé la place à un moratoire du club de Paris et du G20. Toutefois, il convient de souligner que certains États africains n’adhèrent pas à cette approche car un allègement de la dette ou une modification du délai de paiement risque de ternir l’image des États et donc remettre en cause leur accès aux financements futurs que ce soit avec des créanciers privés ou publics. Accepter un allègement ou un rééchelonnement de la dette peut, en effet, entraîner une mauvaise notation pour le non-respect d’une échéance de prêt auprès des agences dédiées à cette tâche. Une telle situation risque d’anéantir les efforts consentis par les États concernés dans le cadre de la perception du risque et du climat des affaires[x].
En ce qui concerne les droits de tirage spéciaux (DTS), cette question concerne leur répartition entre l’Afrique et le reste du monde. En effet, les DTS correspondent à un avoir de réserve international créé en 1969 par le FMI pour compléter les réserves de change officielle des pays membres de cette organisation. C’est un outil qui permet à chaque pays de disposer d’une certaine quantité de droit de tirage convertible en devise en cas de déficit de la balance de paiement[xi]. L’allocation de DTS sert ainsi à fournir des liquidités ou à compléter les réserves officielles d’un État membre. Par ailleurs, toute décision relative à l’allocation des DTS suppose l’approbation du conseil des gouverneurs à une majorité de 85 % des droits de vote[xii].
Compte tenu des effets importants de la crise sanitaire mondiale sur l’économie, le FMI a émis l’idée d’une émission globale de DTS de 650 milliards de dollars. Si une telle décision vient à être approuvée, les DTS seront alors repartis en fonction des quotes-parts de chaque pays membre du FMI. Ainsi, l’Afrique – possédant une infime partie de quote-part au capital de cette organisation – se verrait attribuer que 34 milliards de dollars au titre de DTS alors que ses besoins de financement sont largement supérieurs au montant prévu[xiii]. Les États mieux lotis se sont donc engagés à entreprendre des discussions autour des droits de tirages spéciaux qu’ils seraient prêts à réallouer à l’Afrique. En d’autres termes, l’on s’achemine vers la recherche d’un accord politique où les marges de manœuvre du continent africain sont limitées. De fait, les DTS détenus par les pays riches pourront être assortis de conditionnalités relatives à la mise en place de certaines réformes politiques ou économiques. Par conséquent, la réallocation de DTS implique nécessairement le risque d’ingérence politique dans les affaires internes des États qui en seront les bénéficiaires.
Par ailleurs, la réallocation de DTS facilitera l’accès aux marchés des pays africains. Car, comme l’indique la déclaration sur le sommet du financement des économies africaines : « Nous encourageons également l’approfondissement de la coopération entre entreprises privées africaines et non-africaines, notamment grâce à des plateformes d’investissement (…) et au développement des coentreprises ou des participations conjointes aux marchés publics »[xiv]. En d’autres termes, les besoins observés dans les domaines des infrastructures – et bien d’autres d’ailleurs – constituent des opportunités pour les États mieux lotis en DTS. Ces derniers iront investir dans ces pays par le biais de la « coopération » ou de « participations conjointes aux marchés publics ». Cela signifie que ces États auront recours aux partenariats public-privé (PPP). Ces partenariats sont des accords contractuels de long terme qui permettent à une personne publique de recourir à un opérateur privé pour financer et gérer des services publics. Ce mécanisme présente un avantage pour les gouvernements car ils leur permettent de combler leur besoin en infrastructure sans avoir à avancer les fonds nécessaires.
Toutefois, les partenariats public-privé présentent un inconvénient assez important car l’Etat garantit à l’investisseur des niveaux de recettes établis en amont sans que ceux-ci ne correspondent réellement à la demande de service public[xv]. Ainsi, l’Etat se retrouve à mobiliser des fonds propres – via l’augmentation des taxes – ou à recourir à l’endettement lorsque l’exploitation du bien construit ne suffit pas à générer le chiffre d’affaires convenu avec l’investisseur. La réallocation de DTS peut servir à consolider davantage ce schéma dans la mesure où les partenariats public-privés offrent une garantie de profits sans que l’on ne soit soumis aux risques de la demande. Une telle configuration se voit davantage renforcer dans la zone franc, car le dispositif du Franc CFA neutralise tout risque de change en raison de son ancrage fixe à l’euro. Ainsi, la réallocation des DTS pourra être effectuée au titre de l’aide au développement qui, en réalité, constitue un investissement conditionné ; dissimulé derrière une rhétorique axée sur la solidarité internationale. Dans le cadre de la France, l’une des conditions du trésor public est que les prêts concessionnels[xvi] octroyés aux pays à faible revenu soient mis en œuvre à 70% par des entreprises françaises[xvii] dans le cadre des C2D notamment. Bien que l’Agence française de développement affirme ne pas pratiquer d’aide liée, elle veille tout de même à créer à travers son action des retombées économiques positives pour les entreprises françaises.
Ainsi, la réallocation de DTS, suivant ce paradigme, n’est en réalité qu’un discours politique utilisé pour tenter de redonner une bonne image à un pays, en l’occurrence la France, dont les actions sont de plus en plus contestées par les populations – plus particulièrement – une jeunesse assez politisée et engagée. Penser la relance des économies africaines sans remettre en cause les mécanismes fondamentaux qui neutralisent les risques de l’investissement et les éléments qui limitent la capacité de production monétaire des États ne peut s’avérer être un projet viable sur le long terme.
En somme, le sommet de Paris a été encore une fois la confirmation que l’intérêt est partout et la solidarité nulle part. Il est agréable de penser que l’on vient en aide aux autres tout en augmentant ses propres bénéfices. En politique étrangère, les valeurs morales concourent à la réalisation d’un objectif : faciliter l’acquisition de puissance[xviii].
EPA
Amon Joane
Bibliographie
[i] Durant les prémices de cette crise sanitaire mondiale, nous avons assisté à ce qui a été qualifié de « guerre de masques » entre différents pays. Ces derniers n’ont pas hésité à faire de la surenchère sur le tarmac des aéroports en proposant d’acheter en liquide et à un prix plus avantageux les masques déjà commandés par d’autres États | voir France 24. « Pandémie de Covid-19 : Rivalités internationales pour l’achat de masques médicaux », 3 avril 2020. https://www.france24.com/fr/video/20200403-pand%C3%A9mie-de-covid-19-rivalit%C3%A9s-internationales-pour-l-achat-de-masques-m%C3%A9dicaux – consulté le 21 mai 2021. En outre, les pays riches ont acheté une quantité considérable de doses de vaccins allant ainsi au-delà de leurs besoins réels. Cette situation a été qualifiée par le président sud-africain d’« apartheid vaccinal » car les pays qui aimeraient également acheter des doses ne peuvent pas s’en procurer malgré la mise en place du dispositif Covax. Voir Interview France 24 : Cyril Ramaphosa : la situation à Gaza « nous rappelle très fortement l’apartheid », 2021. https://www.youtube.com/watch?v=7VfPHKcC4kY. Consulté le 21 mai 2021
[ii] Les États-Unis ont mis en place un de relance chiffré à 1900 milliards de dollars et l’Union européenne 750 milliards d’euros.
[iii] « La pandémie de Covid-19 (coronavirus) entraîne l’Afrique subsaharienne vers sa première récession depuis 25 ans », Text/HTML, World Bank, consulté le 21 mai 2021, https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2020/04/09/covid-19-coronavirus-drives-sub-saharan-africa-toward-first-recession-in-25-years.
[iv] « Communiqué à l’issue de la téléconférence du Bureau des Chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA) tenue le 3 avril 2020 | African Union », consulté le 21 mai 2021, https://au.int/ar/node/38330.
[v] Intervention de Carlos Lopes, économiste Bissau-guinéen, FRANCE 24, Économies africaines : quelles solutions pour la relance ?, 2021, https://www.youtube.com/watch?v=92JEt6PWlxY.
[vi] Le taux de pression fiscale est le rapport entre les recettes fiscales et la richesse produite au cours d’une année. En Afrique subsaharienne, il avoisine environ 20% du PIB contre 40 % dans la zone euro. Ainsi, dans cette région, les gouvernements ne parviennent pas à capter la moitié des richesses produites dans le pays en vue de financer les dépenses publiques – Kako Nubukpo, l’urgence africaine, changeons le modèle de la croissance, Odile Jacob, 2019
[vii] Statut de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest – disponible en ligne : https://bceao.int/sites/default/files/inline-files/StatutsBCEAO2010_0.pdf | consulté le 21 mai 2021
[viii] Á ce titre, le sommet de Paris s’inscrit dans la dynamique de l’initiative de suspension du service de la dette. Il s’agit d’un mécanisme -mis en place par le G20 et la banque mondiale – permettant aux États de suspendre le financement du service de la dette pendant une période donnée afin de leur permettre de concentrer leurs ressources sur la lutte contre la pandémie du Covid 19. Voir : « Déclaration commune du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international appelant à agir pour alléger le poids de la dette des pays IDA », World Bank, consulté le 21 mai 2021, https://www.banquemondiale.org/fr/news/statement/2020/03/25/joint-statement-from-the-world-bank-group-and-the-international-monetary-fund-regarding-a-call-to-action-on-the-debt-of-ida-countries.
[ix]« Présentation détaillée des pays participants à l’Initiative de suspension du service de la dette. », World Bank, consulté le 21 mai 2021, https://www.banquemondiale.org/fr/topic/debt/brief/covid-19-debt-service-suspension-initiative.
[x] La Tribune. « Moratoire ou annulation de la dette des pays africains : n’est-il pas temps de changer d’approche ? » Consulté le 21 mai 2021. https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes/2020-04-24/moratoire-ou-annulation-de-la-dette-des-pays-africains-n-est-il-pas-temps-de-changer-d-approche-845964.html.
[xi] La balance de paiement est un document de comptabilité nationale qui retrace l’ensemble des flux économiques entre un pays et le reste du monde au cours d’une période déterminée.
[xii] « Droit de tirage spécial (DTS) », consulté le 21 mai 2021, https://www.imf.org/fr/About/Factsheets/Sheets/2016/08/01/14/51/Special-Drawing-Right-SDR.
[xiii] Le besoin de financement supplémentaire des économies africaines est évalué à 150 milliards de dollars US par la banque africaine de développement.
[xiv] « Sommet Sur Le Financement Des Économies Africaines, Paris, 18 Mai 2021 : Déclaration – World » p.9, ReliefWeb, consulté le 20 mai 2021, https://reliefweb.int/report/world/sommet-sur-le-financement-des-conomies-africaines-paris-18-mai-2021-d-claration.
[xv]Ndongo Samba Sylla et Gabor Daniela « La doctrine Macron en Afrique : une bombe à retardement budgétaire ». Centre tricontinental, consulté le 14 janvier 2021. http://cadtm.org/La-doctrine-Macron-en-Afrique-une-bombe-a-retardement-budgetaire
[xvi] Les prêts concessionnels sont des prêts qui sont accordés à des conditions plus avantageuses que celles du marché. Le taux d’intérêt qui accompagne ce type de prêt est inférieur à celui en vigueur sur le marché.
[xvii] Assemblée Nationale, « Aide publique au développement : Prêts à des États étrangers », Assemblée nationale, consulté le 21 mai 2021, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b1302-tiii-a6_rapport-fond.
[xviii] Nicolas Spykman, America’s strategy in World Politics. The United States and the balance of Power, New York, Harcourt 1942.
École Politique Africaine
65 rue de la croix
92000 Nanterre
Téléphone : + 336 65 60 26 12
💻Mail : contact@ecole-politique-africaine.fr
Inscription : inscription@ecole-politique-africaine.fr
Pédagogie : pedagogie@ecole-politique-africaine.fr
Communication : communication@ecole-politique-africaine.fr