Revue d’actualité n°3 / Niger – USA – Média et influence

Bonjour à toutes et tous,
Bienvenue sur notre antenne consacrée à la revue d’actualité de l’École Politique Africaine.
Au sommaire,
Direction le Niger où le ministère de l’intérieur du Niger a rendu public les résultats de l’enquête portant sur les violences survenues à Téra en date du 27 novembre 2021.
Ensuite, nous irons aux USA plonger dans le HR7311 – le projet de loi visant à lutter contre les activités malveillantes de la Fédération de Russie en Afrique avant de terminer avec un entretien traitant des opérations d’information et de la guerre d’information qui a lieu en Afrique.


 

        • Niger

Le ministère de l’intérieur du Niger a rendu public – dans un communiqué publié sur le site d’information actuniger.com – les résultats de l’enquête portant sur les violences survenues à Téra en date du 27 novembre 2021.

  • Les faits !
AA / Niamey / Kané Illa

Selon le communiqué du ministère de l’intérieur et de la décentralisation, un convoi militaire français en provenance de la Côte d’Ivoire à destination de Gao au Mali a été perturbé dans sa progression dans la ville de Téra située à l’ouest du Niger. Le convoi fut bloqué dans cette ville par plusieurs personnes venues protester contre la présence militaire française dans leur pays. Cette manifestation va tourner au drame car trois personnes seront tuées ; dix-sept civils et sept gendarmes nigériens seront blessés ainsi que sept militaires français.
Cette situation a entraîné l’ouverture d’une enquête par le gouvernement nigérien afin « de situer les responsabilités dans ces évènements malheureux en vue d’une part de sanctionner les auteurs de ce drame et d’autre part procéder aux réparations qui s’imposent en pareilles circonstances »

  • Les enquêtes !

Dans le dessein de situer les responsabilités et sanctionner les auteurs de ce drame, le gouvernement nigérien a décidé d’ouvrir une enquête sur les violences survenues dans la ville de Téra. Il en est de même pour l’armée française qui a décidé de se joindre aux autorités nigériennes afin de faire toute la lumière sur ce tragique évènement.
L’enquête menée par la partie nigérienne indique qu’il y a eu « de graves défaillances dans le dispositif de maintien de l’ordre prévue pour cette situation (…) ces défaillances ont amené l’armée française à recourir à la force pour sortir de la pression des manifestants ».
L’armée française confirme pour sa part « le recours à force par le convoi [en vue de] s’extirper de la foule dans des conditions réglementaires, aux moyens de tirs de sommation. »
Il ressort de ces enquêtes que l’armée française a bel et bien fait usage de la force lors de la manifestation survenue à Téra. La gendarmerie nigérienne n’a été mentionnée que pour le dysfonctionnement de son dispositif de maintien de l’ordre et non pour un quelconque recours à la force face aux manifestants. S’il est donc établi – dans les deux enquêtes susmentionnées – que seule l’armée française a fait usage de la force alors comment expliquer les morts et blessés survenus au cours de cette manifestation. En reprenant les termes de l’enquête française, comment expliquer que le fait de « s’extirper d’[une] foule dans des conditions réglementaires aux moyens de tirs de sommation » puisse paradoxalement entraîner des morts et des blessés…
Les deux parties qui ont dirigé l’enquête n’ont pu trouver de réponse à ces questions car « L’exploitation des résultats de l’enquête de la gendarmerie du Niger et de l’armée française n’ayant pas permis de cerner le déroulement exact des évènements qui ont provoqué la mort et les blessures des manifestants ». Elles s’engagent néanmoins à « assurer ensemble le dédommagement des familles des victimes ainsi que des blessés ». Une décision assez surprenante car si aucune responsabilité n’a été établie à l’issu de l’enquête conjointe menée par les parties nigérienne et française pourquoi décider d’indemniser les victimes.

  • Petit saut dans le temps !
© ISSOUF SANOGO/AFP – Les chars de l’armée française devant l’Hôtel Ivoire en 2004

Souvenons-nous du 9 novembre 2004, une date qui marquera l’histoire militaro-politique de la Côte d’Ivoire. L’armée française a tiré devant des manifestants venus protester devant l’hôtel ivoire contre ce qu’ils considèrent comme une tentative de coup d’état visant le président de l’époque M. Laurent Gbabgo. Les autorités ivoiriennes ont indiqué que cinquante-sept personnes avaient perdu la vie sous les balles françaises et des dizaines de personnes avaient été blessées. Les autorités françaises ont, quant à elle, évoqué la perte d’une vingtaine de civils et militaires tués dans le contexte d’une situation insurrectionnelle.
De cette bataille de chiffres, aucune responsabilité n’a été retenue malgré le rapport de l’enquête sud-africaine rendue en janvier 2006 concluant qu’un nombre important de victimes avaient des traces de blessures de balles (voir page 21 dudit rapport). David Mauger et Raphaël Granvaud indiquent dans un article publié le 5 novembre 2014 sur le site de l’organisation Survie que : « début 2010, le cabinet d’avocats canadien Heenan Blaikie, agissant au nom de l’État ivoirien (alors encore présidé par Gbagbo) et des victimes de l’hôtel Ivoire, avait transmis à l’Élysée une proposition de règlement amiable. Elle avait été transmise à Alliot-Marie, devenue Garde des sceaux. Quelques mois plus tard, il était question de mettre sur pied un comité franco-ivoirien ad hoc ». Cependant, depuis l’arrivée au pouvoir de M. Alassane Dramane Ouattara, aucune suite n’a été donnée à ce dossier.

  • Leçons à tirer !

Contrairement à l’évènement tragique de Téra, aucune indemnisation n’a été envisagée pour les victimes ivoiriennes de l’hôtel ivoire. Cependant, dans les deux cas, les autorités politiques africaines ont doublement failli au devoir de protection de leurs populations car d’une part elles laissent des troupes étrangères s’attaquer à leurs populations ; et d’autre part, elles abandonnent les poursuites judiciaires permettant d’établir les responsabilités de chaque partie.
La méthode est toujours la même :
1 – on ouvre des enquêtes
2 – On admet qu’il y a eu recours à la force
3 – On se lance dans la bataille des chiffres ou on entretient le flou sur les circonstances dans lesquelles le recours à la force a eu lieu.
4 – Conclusion de l’enquête : pas assez de preuves ou on laisse couler pour obtenir un règlement à l’amiable suivant les enjeux politiques.
Et
5 – Arrive la phase de dédommagement car – de toute façon – l’argent tout le monde en a besoin et les populations de ces régions encore plus : Pas de justice pour le nègre, on tue, on paye et on avance !
Il ne reste plus que les actions que comptent mener les associations de défense des droits de l’homme et des membres de la société civile qui n’entendent pas se laisser distraire par cette indemnisation et comptent obtenir justice pour les victimes.  Ont-ils indiqué au micro du journaliste Abdul Razak Idrissa du média VOA.


 

        • HR7311 – USA vs Russia in Africa

Les Etats-Unis envisagent contrer les activités malveillantes de la Russie en Afrique. Tel est l’objectif du projet de loi HR 7311 intitulée : « Countering Malign Russian Activities in Africa Act ». Dans l’esprit du congrès américain, cette loi permettra d’une part d’évaluer l’ampleur et la portée des activités malveillantes de la Fédération de Russie en Afrique et d’autre part, de les contrer efficacement en tenant pour responsables les gouvernements africains qui en sont complices. Les autorités étatiques africaines ne sont pas uniquement concernées par ce projet de loi car la section 3 dudit projet relative à la stratégie et mise en œuvre de la loi évoque également « les mandataires [de la Fédération de Russie] » ; toute chose qui recouvre à la fois les acteurs publics et privés installés sur le continent.

capture d’écran

Toutes ces informations seront contenues dans un rapport qui doit identifier et établir précisément la nature de l’influence des personnes associées financièrement ou politiquement à la Russie ou aident à :

(i)Manipuler les gouvernements africains et leurs politiques, ainsi que les opinions publiques et les préférences de vote des populations africaines et des groupes de la diaspora, y compris ceux des États-Unis ; et
(ii)Investir, s’engager ou contrôler d’une autre manière des secteurs stratégiques en Afrique, tels que l’exploitation minière et d’autres formes d’extraction et d’exploitation des ressources naturelles, les bases militaires et d’autres accords de coopération en matière de sécurité, et les technologies de l’information et des communications.

Quelle condescendance ! Les Etats-Unis d’Amérique – tête de fil du monde occidental – sont toujours enfermés dans ce complexe de supériorité ; et ce mépris qu’ils ne cessent de manifester à l’égard des peuples qui refusent d’imiter leurs positions. Élaborer un projet de loi qui vise à contrer les activités malveillantes de la Russie en Afrique… Belle ironie ! Car en termes d’activités malveillantes en Afrique ! Les Etats Unis d’Amérique ont un pedigree assez fourni. L’exemple le plus récent étant leur participation à la chute du Commandant Mouammar Kadhafi en 2011 qui a causé la déstabilisation du Sahel. Par ailleurs, ce projet de loi tend à infantiliser les autorités politiques et opinions publiques en Afrique.  Les États-Unis se permettent de penser à la place des autres au point de sanctionner ceux qui aident à « manipuler les gouvernements africains et leurs opinions publiques ». A croire que les gouvernements africains et leurs peuples sont incapables de penser leurs alliances et opérer des choix en toute connaissance de cause. Il en est de même des secteurs stratégiques et exploitations minières qui doivent être protégées par le « grand oncle Sam » car les « petits africains » du quartier international seraient encore incapable de faire les « bons choix » en ce qui concernent l’exploitation de leurs ressources et leur défense.
Ce projet de loi symbolise assez bien la cécité des dirigeants occidentaux qui se pensent encore les maîtres du monde et décident pour les autres ce qui serait bon ou mauvais pour eux. Si les Etats africains décident de se coucher à l’ouest tout en présentant leur postérieur à l’est, ceci relève de leur pleine et entière responsabilité. Ils assumeront les conséquences découlant de leurs choix – bons ou mauvais – suivant les prérogatives attachées à leur souveraineté.


 

  • FOCUS : “Les influenceurs anti-Français mais… pro-Kremlin”

« En Afrique Subsaharienne, les réseaux sociaux ont une gigantesque influence sur la population. C’est sur ces plateformes que s’expriment des influenceurs anticolonialisme. Ces leaders 2.0 sont suivis par des millions d’internautes et selon plusieurs études seraient rémunérés par le kremlin. » note radio France dans un article daté du 23 mai 2022. Cet article s’inscrit dans la lignée de celui publié par Jeune Afrique le 31 mars 2022 qui présentait également les « influenceurs pro poutine » du continent. Plus récemment, ce fut au tout du magazine Marianne de renchérir avec l’idée d’un cyber endoctrinement mis en place par les influenceurs africains à la solde du Kremlin.
Au-delà des fantasmes, des idées reçues et des personnes visées, nous allons nous pencher sur la  guerre d’information et les opérations d’influence qui ont lieu en Afrique de l’Ouest de façon particulière et en Afrique de manière générale.
Nous recevons à ce propos M. Henri-Désiré NZOUZI – producteur associé du JT diplomatique, co-fondateur et vice-président du African Diaspora Network in Europe, contributeur à la voix de l’Amérique (VOA), consultant auprès de Medi 1 TV et VOXAFRICA – pour nous entretenir sur cette question.

Amon joane

 

Sources 

  • Niger

RFI. « Violences en marge du passage d’un convoi de Barkhane au Niger: les victimes bientôt indemnisées », 18 mai 2022. https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220518-violences-en-marge-du-passage-d-un-convoi-de-barkhane-au-niger-les-victimes-bient%C3%B4t-indemnis%C3%A9es.
AFP. « Qui a ouvert le feu sur les manifestants anti-Barkhane au Niger? » VOA. Consulté le 23 mai 2022. https://www.voaafrique.com/a/convoi-de-barkhane-bloqué-au-niger-les-causes-de-la-mort-de-3-manifestants-inconnues/6578324.html.
« Niger : l’armée française accusée d’avoir tiré sur des manifestants | TV5MONDE – Informations ». Consulté le 23 mai 2022. https://information.tv5monde.com/video/niger-l-armee-francaise-accusee-d-avoir-tire-sur-des-manifestants.
« Evènements de Téra: l’enquête n’ayant pas permis de situer les responsabilités, les familles des victimes seront dédommagées ». ActuNiger. Consulté le 23 mai 2022. https://www.actuniger.com/societe/18169-evenements-de-tera-l-enquete-n-ayant-pas-permis-de-situer-les-responsabilites-les-familles-des-victimes-seront-dedommagees.html.
Boureima. « Convoi de Barkhane bloqué au Niger en 2021: les familles des victimes dédommagées ». Wakat Séra (blog), 18 mai 2022. https://www.wakatsera.com/convoi-de-barkhane-bloque-au-niger-en-2021-les-familles-des-victimes-dedommagees/.
Évènements novembre 2004 Côte d’Ivoire
« Du bombardement de Bouaké au massacre de l’hôtel Ivoire : 10 ans de mensonges et d’impunité – Survie ». Consulté le 23 mai 2022. https://survie.org/billets-d-afrique/2014/240-novembre-2014/article/du-bombardement-de-bouake-au-4794.
Rapport d’enquête sud-africaine sur les fusillades survenues en Côte d’Ivoire en novembre 2004 https://survie.org/IMG/pdf/2098920810pd7ba2.pdf
« 9 novembre 2004 – Tirs français à l’hôtel Ivoire : les Ivoiriens se souviennent | Africanews ». Consulté le 23 mai 2022. https://fr.africanews.com/2017/11/09/9-novembre-2004-tirs-francais-a-l-hotel-ivoire-les-ivoiriens-se-souviennent//.

  • USA vs Russia in Africa

Meeks, Gregory W. « Text – H.R.7311 – 117th Congress (2021-2022): Countering Malign Russian Activities in Africa Act ». Legislation, 28 avril 2022. 2021/2022. http://www.congress.gov/.

  • Guerre d”information et opération d’influence

Ecofin, Agence. « L’Afrique, nouveau champ de bataille de la guerre de l’information et des opérations d’influence (Control Risks) ». Agence Ecofin. Consulté le 23 mai 2022. https://www.agenceecofin.com/actualites/1009-80036-lafrique-nouveau-champ-de-bataille-de-la-guerre-de-linformation-et-des-operations-dinfluence-control-risks.
JeuneAfrique.com. « Russie-Afrique : de Kemi Seba à Nathalie Yamb, les « influenceurs » pro-Poutine du continent – Jeune Afrique ». Consulté le 23 mai 2022. https://www.jeuneafrique.com/1335015/politique/russie-afrique-de-kemi-seba-a-nathalie-yamb-les-influenceurs-pro-poutine-du-continent/.
« Afrique : les influenceurs africains inquiètent Paris ». Consulté le 23 mai 2022. https://www.marianne.net/monde/afrique/de-kemi-seba-a-franklin-nyamsi-les-influenceurs-anti-france-attisent-le-mecontentement-populaire-en-afrique.